CHAPITRE XV

James Howell contemplait l’écran de sa navette tandis qu’elle franchissait le terminateur pour entrer, scintillante, dans la brutale lumière de la primaire de Pare-feu ; il s’efforçait de dissimuler son malaise.

Pare-feu était une planète à la population clairsemée, car – hormis les paysages réellement spectaculaires de ses montagnes et sa faune particulièrement dangereuse – elle ne disposait que de bien peu d’atouts pour attirer les colons. Pour ses visiteurs, en revanche, c’était une tout autre histoire. À ce jour, un touriste sur cinq était un chasseur attiré par sa vie sauvage, ce qui, les hommes étant ce qu’ils sont, n’avait pas manqué de susciter une réaction perverse assez prévisible qui amusait énormément les natifs. Et c’était également lucratif. Si des étrangers probablement sains d’esprit étaient disposés à verser de copieux honoraires pour jouir du douteux privilège de chasser des prédateurs qui, de leur côté, ne voyaient aucun inconvénient à les traquer, ça ne regardait qu’eux. Mais, bien qu’un nombre croissant de visiteurs vinssent de l’Empire pour alimenter la récente prospérité fondée sur le tourisme, les gens de Pare-feu se tenaient pour les citoyens d’un Monde dissident, indépendant et décidé à le rester.

Les propulseurs s’allumèrent quand la navette entreprit de se diriger vers sa jonction avec le cargo. Howell se serait sans doute senti plus à l’aise à bord de son vaisseau amiral, mais Pare-feu était une planète par trop fréquentée pour qu’on prît ce risque. D’un autre côté, cette réunion avait l’avantage de réduire les dangers qu’on aurait encourus en débarquant avec toute l’escadre. Si jamais on les surveillait ou si ça venait à se savoir…

La navette fit halte pour accoster et des tracteurs l’attirèrent vers une des soutes du cargo. Howell regarda le tube réservé au personnel se mettre en position puis soupira et se tourna vers l’ascenseur en carrant ses épaules.

Le moment était venu d’entendre ce que Contrôle avait à lui dire. Il ne s’attendait pas à apprécier la conversation.

 

L’amiral atteignit le sas du personnel au moment précis où le grand type en émergeait, vêtu d’une tenue de chasse, sa moustache en bataille férocement hérissée. En dépit de leur aspect robuste et confortable, les vêtements étaient coûteux et la bande de son feutre aplati décorée d’une douzaine au moins de petits fils brillants recourbés auxquels étaient fixés des plumes, des miroirs et Dieu sait quoi d’autre encore. La première fois qu’il les avait vus, Howell leur avait attribué une fonction purement décorative, et il n’avait découvert leur véritable utilité qu’au terme de longues recherches : il s’agissait de leurres destinés à un sport ésotérique appelé « pêche à la mouche ». Howell n’y voyait toujours qu’une manière inepte de tuer le temps pour un adulte, encore que la truite-sabre de Pare-feu, longue de deux mètres, rendît sans doute ce sport plus passionnant qu’il ne l’avait originellement été sur la Vieille Terre.

Il s’avança à la rencontre de son visiteur et grimaça quand il lui serra la main à lui broyer les os. Contrôle éprouvait toujours le besoin puéril de montrer sa force et Howell avait appris à le laisser s’y complaire, encore qu’il eût préféré que son interlocuteur ôtât sa chevalière de l’Académie avant d’écraser les métacarpes de sa victime.

« J’ai pensé que nous pourrions nous entretenir dans ma cabine, monsieur, déclara-t-il en s’efforçant de ne pas secouer sa main après l’avoir enfin récupérée. Ce n’est pas le grand luxe, mais on y jouit au moins d’une certaine intimité.

— Parfait. Je ne compte pas m’y attarder assez longtemps pour souffrir de son ascétisme. » La voix de Contrôle était sèche, avec une pointe d’accent de la Vieille Terre. Mais Howell savait qu’il n’y avait jamais mis les pieds avant son inscription à l’Académie. Le contre-amiral chassa cette pensée et prit la tête dans une coursive qu’il savait hermétiquement fermée pour la durée de la visite de Contrôle. De toute l’escadre, une vingtaine de personnes seulement savaient qui il était et Rachel Shu, afin de limiter le nombre des initiés à ce chiffre, prenait les mesures les plus expéditives.

La cabine d’Howell – celle du capitaine du cargo, en réalité – était plus confortable que ne l’avait suggéré sa remarque précédente. Il fit signe à Contrôle d’en franchir le premier l’écoutille et le regarda faire. Il ne fut pas déçu. L’homme se dirigea tout droit vers le poste de commande, s’assit derrière sans hésiter et lui désigna le fauteuil du solliciteur installé en vis-à-vis.

L’amiral obtempéra en affichant le plus grand calme, se rejeta en arrière et croisa les jambes. Il ne se faisait pas d’illusions. La visite que lui rendait Contrôle personnellement laissait entendre qu’il allait l’écorcher vif, mais Howell aurait préféré se pendre plutôt que de donner l’impression d’être dans ses petits souliers. Il avait fait de son mieux et, quoi que l’autre pût prétendre, n’était en rien responsable des pertes d’Élysée.

Contrôle le fixa quelques instants sans mot dire puis s’adossa à son tour à son siège et inspira profondément, hérissant sa moustache cirée de manière encore plus agressive.

« Donc, amiral… j’imagine que vous connaissez la raison de ma visite. » Howell sentit qu’on lui tendait une perche et fournit la réponse attendue.

« J’imagine que ça concerne Élysée ?

— Effectivement. Nous trouvons ce désastre regrettable, amiral Howell. Nous sommes très mécontents. Et nos soutiens encore plus. »

Le regard de ses yeux gris était inflexible, mais Howell refusa de baisser les siens. Tout comme, d’ailleurs, de perdre son temps à se justifier à moins qu’on ne fît peser sur lui des accusations spécifiques, et il soutint le regard de Contrôle en observant un silence serein.

« Vous disposiez de tous les renseignements nécessaires, amiral, reprit Contrôle quand il devint évident qu’Howell ne répondrait pas. Nous vous offrions Élysée sur un plateau d’argent, et vous avez perdu non seulement les trois quarts de vos forces au sol, mais aussi cinq navettes de fret, une navette d’assaut de type Léopard, quatre Bengale… et un croiseur de combat d’un million de tonneaux. Et, par-dessus le marché, vous n’avez même pas atteint votre objectif. Dites-moi, amiral… êtes-vous incompétent de naissance ou avez-vous dû vous échiner pour le devenir ?

— Dans la mesure où j’ai suffisamment donné la preuve de ma compétence par le passé, je ne daignerai pas répondre à cette dernière question, monsieur, répondit Howell sur un ton détaché qui ne trompa personne. Quant aux autres, il me semble que l’enregistrement parle de lui-même : le Poltava a mené une attaque parfaitement classique, mais le capitaine Ortiz a pris une décision malencontreuse et s’est trop approché de son adversaire. Ça arrive aux meilleurs commandants et, quand ça se produit à quinze minutes-lumière du vaisseau amiral, l’officier en charge n’y peut rigoureusement rien. »

Il soutint encore le regard de Contrôle en permettant à ses yeux de trahir la colère que dissimulait sa voix et sentit quelque chose vaciller sous les sourcils de son interlocuteur. Fureur équivalente ? Respect ? Il n’aurait su le dire et s’en moquait d’ailleurs éperdument pour l’heure.

« Quant au reste de votre… accusation, j’aimerais simplement vous faire remarquer que vos renseignements étaient en réalité fort loin d’atteindre à la perfection et que vous aviez été prévenu du succès pour le moins problématique de l’opération. Vous saviez combien il serait difficile de nous assurer le contrôle des dossiers du GénGén. Si l’ennemi avait effectivement occupé les positions dont vous affirmiez qu’il les tiendrait, nous aurions sans doute pu investir les bâtiments. En l’occurrence, nos commandants de groupe sont effectivement tombés dans un piège parce qu’on leur avait assuré qu’ils ne rencontreraient pas de résistance. Je suis probablement tout aussi fautif pour n’avoir pas exigé une préparation plus complète en dépit de nos informations “parfaites”, mais je prétends qu’il aurait été plus avisé de votre part de ne pas nous fournir des renseignements d’ordre tactique avant d’avoir établi leur exactitude. Mieux vaut une absence totale d’informations que des renseignements erronés… ainsi que l’a prouvé ce raid.

— Nul ne peut se prémunir contre des modifications de dernière minute, amiral.

— En ce cas, il serait plus sage de ne pas vous en targuer, monsieur », répondit Howell de la même voix calme. Il s’interrompit un instant pour attendre la réponse de Contrôle, mais, celui-ci se contentant de balayer l’argument d’un geste, il poursuivit :

« Enfin, monsieur, j’aimerais également préciser que, quoi qu’il ait pu arriver à nos forces au sol et que nous ayons ou non réussi à nous emparer des données du GénGén, nous avons parfaitement mené à bien l’objectif principal stipulé dans notre ordre de mission. Vos estimations du nombre des victimes sont sans doute plus précises que les nôtres, mais j’ai la certitude que nous avons largement dispensé l’“atrocité” à laquelle vous aspiriez.

— Oumph ! » Contrôle se balança doucement d’avant en arrière dans son fauteuil, tout en le faisant légèrement pivoter dans un sens puis dans l’autre avant de faire bouffer sa moustache et de hausser les épaules.

« Je l’admets », reprit-il sur un ton beaucoup moins hargneux. Il se fendit même d’un petit sourire. « Comme vous en êtes sans doute conscient, la merde retombe en cascade. Dites-vous que vous n’avez reçu que la moitié du seau qu’on m’a envoyé à la gueule. » Son sourire s’effaça. « Je peux néanmoins vous affirmer que nous avons échappé tous les deux à des orages bien plus violents.

— J’en suis persuadé, monsieur. » Howell se permit à son tour de se détendre. « De fait, avoua-t-il, j’avais déjà préparé mes gens à ce qui, selon moi, m’attendait. Mais, en toute connaissance de cause, nous avons parfaitement rempli notre mission principale.

— Si cela peut vous rassurer, c’est précisément l’opinion que j’ai exprimée. Quant à vos pertes… (Contrôle haussa les épaules) nous recrutons déjà du nouveau personnel sur les mondes dissidents locaux, mais je crains fort, hélas, que nous ne puissions remplacer aussi vite le Poltava. Cela dit, si vous avez entièrement raison quant à la réussite de votre mission principale, il appert que votre objectif secondaire était plus important que vous et moi ne l’escomptions.

— Vraiment ? » Howell tira sur son lobe d’oreille. « Ils auraient été bien aimables de nous le faire savoir.

— J’en conviens, j’en conviens. » Contrôle piocha un étui à cigares dans une poche de son blouson. Il en choisit un, le décapita et l’alluma. Howell, ravi de la présence de la hotte d’extraction à l’aplomb du bureau, le regarda tirer dessus jusqu’à en être satisfait puis le braquer sur lui comme un pointeur.

« Voyez-vous, amiral, nos soutiens financiers des mondes du Noyau commencent à être sérieusement ébranlés. Ils sont assez sanguinaires, virtuellement parlant, et parfaitement disposés à causer de lourdes pertes parmi les civils tant qu’ils n’ont pas à les infliger eux-mêmes, mais, une fois le bain de sang réellement en train, ils n’ont pas assez d’estomac pour le supporter. Non pas qu’ils aient quelque chose à foutre du sort de leurs victimes, mais parce qu’ils prennent subitement conscience de la réalité des enjeux de la partie qu’ils sont en train de jouer… et de ce qui leur arrivera s’ils la perdent. »

Howell perçut le mépris dans la voix de Contrôle et opina.

« Ils sont gras, bourrés de fric et ils espèrent bien engraisser et s’enrichir davantage, mais, si la fortune et le pouvoir dont ils disposent déjà les protègent la plupart du temps des retombées de leurs forfaits, c’est une autre paire de manches cette fois-ci. Si jamais l’Empire découvre leur participation dans cette affaire, rien ne pourra les sauver, et leurs objectifs différent beaucoup des nôtres : ils ne nous appuient qu’en contrepartie de bénéfices immédiats, de la perspective de nouvelles concessions après notre succès, et je ne crois pas qu’ils aient réellement compris jusqu’à quel point il nous faudrait susciter une panique hystérique à l’encontre des pirates pour arriver à leurs fins. » Contrôle tira une autre bouffée de son cigare et exhala un long panache gris.

« La seule raison qui m’incite à m’attarder si longuement sur cette affaire, c’est que nous n’avons aucun bâton pour les frapper et qu’il nous faut donc leur agiter sans cesse la carotte sous le nez. Pour l’heure, ils ne distinguent que trop clairement les conséquences d’un échec et quelques-uns s’inquiètent déjà de nous voir attirer les foudres de la Flotte sur nos têtes par nos agissements. Nous, bien sûr, nous savons pourquoi nous le faisons ; pas eux. Ce qui sous-entend que, si nous ne tenons pas à les voir se retourner contre nous, nous devons leur jeter au plus vite une livre de chair… Les données du GénGén étaient précisément censées remplir ce rôle.

— J’en suis conscient, mais le capitaine Alexsov et moi avons évoqué la possibilité d’un échec dès que la cible a été désignée.

— Oubliez tout ça. » Contrôle agita son cigare. « Vous avez reçu votre dose de merde à ce sujet et vous avez réagi. Très bien. C’est fait. Le problème, à présent, c’est de savoir où nous allons dorénavant.

— En effet, monsieur.

— Parfait. Avez-vous amené Alexsov ?

— Oui, monsieur. Le commandant Shu et lui sont à bord.

— Excellent. » Contrôle consulta sa montre et fit la grimace. « Mes gens, au sol, ne peuvent couvrir mon absence que quelques heures et je dois retourner travailler à la fin de la semaine prochaine. Le seul fait de prendre un bref congé à un pareil moment m’a valu quelques regards noirs et je ne pourrai pas me permettre avant longtemps de recommencer, de sorte que j’aimerais assez régler le plus vite possible tous les points litigieux. Permettez-moi de vous les exposer, pour que vous puissiez accélérer les choses après mon départ. D’accord ?

— Bien sûr.

— Très bien. Comme je l’ai dit, il nous faut une carotte bien visible, et nous pensons en avoir trouvé une : en l’espèce, Manille.

— Manille ? » répéta Howell non sans étonnement. Jusque-là, toutes ses cibles avaient été des possessions impériales, or Manille était une colonie sœur d’un monde dissident et ses propriétaires de franches canailles.

« Manille. Je sais que les Elgreciens la surveillent de près, mais il se trouve que nous avons appris qu’ils participeraient vers la fin du mois prochain à une manœuvre assez élaborée de la Flotte. J’ai apporté tous les détails dans mon enregistrement de données. L’essentiel, c’est que, l’escadre de Manille étant rappelée à El Greco pour un exercice de mobilisation concernant la défense de la planète mère, le système restera à découvert pendant au moins une semaine. Votre fenêtre, amiral.

— Je ne connais pas très bien le système de Manille, monsieur. À quoi ressemblent ses défenses orbitales ? Les Elgreciens possèdent une technologie impressionnante pour un monde dissident et je n’aimerais pas tomber dans un traquenard.

— Il n’y en a aucune. C’est toute la beauté de la chose.

— Aucune ?

— Aucune. Logique, quand on y réfléchit. La planète n’est colonisée que depuis cinquante ans et, quand on a installé ses colons, ils n’avaient à redouter que d’autres mondes dissidents et, de temps à autre, une authentique razzia de pirates. Ils ne pouvaient raisonnablement s’opposer ni à l’Empire ni à la Sphère, de sorte qu’ils ont décidé de ne même pas s’y essayer… Quant aux autres mondes dissidents et aux pirates… à leur place, iriez-vous affronter El Greco ?

— Certainement pas, monsieur », admit Howell. En l’occurrence, eût-il été l’Empire ou même Rishatha qu’il ne s’y serait pas aventuré. L’occupation d’une colonie d’El Greco était un jeu qui avait bien peu de chances d’en valoir la chandelle.

Avant les guerres de la Ligue, El Greco avait été un monde universitaire renommé, connu pour ses académies d’art et ses facultés. Puis les Rishatha l’avaient occupé pendant la première guerre contre l’humanité et les Lézards avaient investi jusqu’aux domaines de l’Académie.

Les Elgreciens étaient peut-être des têtes d’œuf et des philosophes, mais non pour autant des hydrocéphales, et les Rish s’étaient bientôt aperçus qu’ils avaient attrapé un tigre par la queue. Les universités d’El Greco avaient fait chauffer leurs ordinateurs et lancé des recherches de données dans le domaine de la guérilla, du sabotage et de l’assassinat comme s’ils préparaient leur thèse de doctorat. En l’espace d’une année, ils avaient levé deux divisions ; le temps que la Sphère se retire, y voyant une mauvaise affaire, la garnison rishathane se montait déjà à trois corps d’armée… et continuait de perdre du terrain.

Les Elgreciens n’avaient rien oublié depuis et ils avaient décidé d’orienter leurs universités survivantes dans une nouvelle direction : El Greco n’y formait plus d’artistes, de sculpteurs et de compositeurs, mais des physiciens, des chimistes, des stratèges, des ingénieurs, des spécialistes de l’armement, et elle abritait l’un des complexes de recherche et développement les plus avancés de l’humanité. Les meilleures armées de mercenaires de ce secteur de la Galaxie étaient cantonnées sur El Greco et la majeure partie de leurs effectifs étaient officiers de réserve dans les forces armées planétaires. Sans doute El Greco pouvait-elle encore tomber entre les mains d’un envahisseur aussi imposant que l’Empire ou la Sphère, pourvu qu’il y tînt absolument, mais le coût de cette prise serait par trop élevé comparé à ce qu’elle rapporterait, et aucun monde dissident – pas même en coalition – n’aurait aimé se mettre à dos la Spatiale elgrecienne.

Plus précisément en l’occurrence, l’amiral James Howell n’avait aucune envie de se la mettre à dos.

— Pardonnez-moi, monsieur, mais êtes-vous bien certain que nous devions nous lancer dans cette aventure ?

Contrôle émit un ricanement sarcastique presque apitoyé, et tira âprement sur son cigare avant de répondre.

— Essayez de regarder l’affaire sous cet angle, amiral. Les Elgreciens sont très forts, indubitablement, mais ils ne sont à la tête que d’un seul système. La puissance de feu de leur flotte tout entière et de leurs armées de mercenaires est inférieure à celle de l’amiral Gomez, et ils sont encore très loin de disposer des sources de renseignement de Soissons. Dans la mesure où celle de votre escadre est déjà largement surpassée, un ennemi de plus ne saurait avoir une très grande importance, pas vrai ? Après tout, si nous devions livrer un combat classique, nous le perdrions même en cas de victoire.

— Je m’en rends compte, monsieur, mais, confrontés à El Greco, nous n’avons pas la même clairvoyance. Nous savons à l’avance ce que fera la Flotte ; nous ne disposons pas de cet avantage sur les Elgreciens.

— Oh, mais ça viendra ! » Les yeux de Contrôle pétillèrent d’authentique bonne humeur. « Voyez-vous, nous allons faire d’une pierre deux coups, voire davantage.

» En premier lieu, votre raid sur Manille visera l’unité de recherches biologiques de l’université de Tolède. Nous avons de bonnes raisons de croire qu’elle menait une course contre la montre avec le GénGén, de sorte que nous pourrons ainsi remédier à notre échec antérieur.

» Deuxièmement, frapper un monde dissident fera oublier l’idée qu’on a déclaré une guerre à l’Empire. C’est le cas, mais il est essentiel que personne ne s’en rende compte. Nous pouvons nous en tirer sans nous attaquer à un autre monde dissident de ce secteur – quoi qu’il en soit, la plupart d’entre eux ne possèdent rien de valeur – mais, afin de passer pour d’authentiques pirates, nous devons au moins en frapper un.

» Troisièmement, les Elgreciens comme les Jungiens veulent prouver qu’eux ne sont pas non plus à l’abri de nos attaques, de sorte qu’ils ont déjà mis au point des plans d’alliance en cas d’urgence – c’est d’ailleurs par ce biais que nous avons eu vent de ces manœuvres. Mieux encore, ils ont accepté le principe d’un commandement et d’une coordination uniques en cas d’attaque. Les Jungiens ne s’y sont pas encore résolus, mais, même si votre raid entraînait les Elgreciens sur le terrain, nous aurions des renseignements fiables sur leurs opérations et leur attitude probable.

» Et, quatrièmement… (les yeux de Contrôle se plissèrent) quelques subordonnés de Gomez – Mcllheny en particulier – commencent à nourrir des soupçons sur le déroulement de nos opérations. La phase 4 sur Élysée a éliminé tous ceux qui auraient pu identifier vos vaisseaux, mais l’aisance dont vous avez fait preuve pour pénétrer les défenses laisse clairement entendre que vous étiez très, très bien renseignés. Le gouverneur général lui-même a le plus grand mal à faire fi de cette évidence et Mcllheny s’efforce âprement d’inciter Gomez à ronger cet os. Si vous frappez un monde dissident avec la même précision, on en déduira que les pirates disposent de multiples sources d’information, ce qui devrait détourner en partie les soupçons.

— Je le craignais déjà quand nous avons jeté notre dévolu sur Élysée », répondit sourdement Howell. Contrôle haussa les épaules.

« Vous n’étiez pas le seul. Il s’agissait d’un risque calculé, car il nous fallait cibler un monde incorporé. La population de ceux de la Couronne est si peu élevée que même une éradication totale comme celle du monde de Mathison ne génère pas, quant aux pertes humaines, de chiffres susceptibles de frapper l’opinion publique des mondes du Noyau. En outre, la plupart des gens du Noyau se disent que tous ceux qui souhaitent établir une colonie sur une planète connaissent les risques et ne peuvent guère compter sur une assistance en cas de merdier. Mais, avec un monde incorporé, c’est une tout autre histoire. Élysée est représentée au Sénat et, croyez-moi, après ce qui est arrivé à un tiers de leurs électeurs, ces sénateurs exigent des représailles !

— Je sais, monsieur. » Howell contempla ses mains. « Est-ce que ça signifie que nous devrons faire pareil sur Manille ? demanda-t-il d’une voix neutre.

— J’en ai peur, amiral. » Contrôle lui-même avait l’air embarrassé, mais son ton ne s’altéra pas. « Nous ne pouvons pas changer notre mode opératoire, pour la même raison qui nous oblige à attaquer un monde dissident. Il faut absolument donner l’impression que nous traitons tout le monde à la même enseigne.

— Je comprends, monsieur, soupira Howell.

— Tant mieux. » Contrôle balança un petit processeur sur le bureau. « Voici votre paquet de renseignements. Nous ne prévoyons pas de problèmes, mais, si le commandant Shu a des questions à poser, elle pourra les faire parvenir par les canaux habituels. Nous ne pourrons plus nous permettre de contact direct pendant un certain temps.

— Compris », répéta Howell en se levant pour reconduire son visiteur hors de la cabine. Il s’abstint, en partie par diplomatie mais aussi parce qu’il l’avait finalement trouvée utile, de mentionner que cette rencontre n’avait pas été de son fait. Les tête-à-tête autorisent des nuances qu’interdit toute médiation.

Ils s’arrêtèrent devant le sas du personnel et Contrôle lui broya de nouveau la main, un tantinet moins douloureusement cette fois.

« Bonne chasse, amiral.

— Merci, monsieur », répondit Howell en se mettant au garde-à-vous, mais en s’abstenant de saluer. Leurs regards se croisèrent une dernière fois puis le vice-amiral Amos Brinkman hocha sèchement la tête et franchit l’écoutille.

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